Chants et traditions musicales chez Awlâd sîdî ‘Abîd (Frontière algéro-tunisienne)

Hassen Mchaikhi | Doctorant en musique et musicologie, Université de Tunis, Institut Supérieur de Musique de Tunis.

Résumé :

Cet article tente de présenter les différentes formes du répertoire chanté de la communaute d’Awlâd sîdî ‘Abîd, habitant dans la région qui s’étend du Sud Est de la Tunisie (Gafsa – Tozeur) jusque’à Tebessa en Algérie. L’article tente également de définir les caractéristiques musicales de ce répertoire par le biais d’une étude analytique d’une de ses formes les plus connues : le ṭarg ‘îfî.


Introduction

Le répertoire de la Gasba (index 1), l’instrument le plus répandu sur toute la frontière tuniso-algérienne est lié à la culture populaire de ces deux pays (Al-Hâmdî, 2018, p. 14), englobe une riche variété de musiques et de chants qui accompagnent toutes les manifestations de la vie quotidienne. Il importe de mentionner que, pour chaque région, il existe des spécificités locales et régionales qui font que chaque répertoire d’une région peut paraitre unique et particulier (Gouja, 2007, p. 169). Ces spécificités peuvent être observées au niveau des formations orchestrales, des rythmes, des mélodies appelées naghmât pluriel naghma ou hwâ, sût, et des formes musicales.

Dans le présent article, nous avons tenté de présenter et d’analyser les particularités du répertoire musical de la tribu d’Awlâd sîdî ‘Abîd, pratiqué sur la frontière tuniso-algérienne, en particulier la partie sud-ouest (Gafsa et Tozeur) de la Tunisie et la région de Tébessa de l’Algérie. Cet espace d’étude est caractérisé par un grand nombre de genres musicaux essentiellement vocaux.

Awlâd Sîdî ‘Abîd : la naissance du groupe et de son espace 

« Awlâd Sîdî ‘Abîd sont d’origine maraboutique, c’est-à-dire descendants du prophète Mohammed par sa fille Fathima ez zohra » (Castel, 1905, p. 113). Selon les traditions existantes et l’arbre généalogique, la lignée de leurs ancêtres indique que le walî sîdî ‘Abîd ou bien ubayd, le fondateur éponyme de ce groupe chérifien, serait le fils de Khdhîr petit-fils de Idrîs al-akbar ben Al-hasan al-muthanna ben Al-hasan assibt ben ‘ali ben abî Tâlib l’époux de Fâtma Zuhra(Puig, 2003, p. 44-45).

En dépit de la diversité des témoignages, des archives de la région et des sources d’information, aussi bien orales qu’écrites, il est difficile de déterminer avec exactitude une date de l’apparition de ce groupe et la date de naissance du sîdî ‘Abîd. En effet ces témoignages ont abouti à différentes dates s’étalant sur quatre siècles. 

Charles Féraud a mentionné que le XIsiècle représente la date de l’apparition de la tribu d’Awlâd Sîdî ‘Abîd, ce qui confirme que la naissance de Chîkh ‘Abîd peut coïncider avec cette date ou la précéder. Alors que Nicolas Puig a indiqué que « c’est probablement vers les XV-XVIe siècles qu’aurait vécu Sîdî Abîd Ibn Khdhir (Khouider). Arrivé du Maroc, il se fixa au cœur de la chaîne des Nemencha afin de se livrer aux pratiques religieuses les plus austères » (Puig, 2003, p. 46). 

Cependant, Pierre Castel, a affirmé dans son étude de la région de Tébessa et de son histoire au XIXe siècle que la date de naissance de chîkh ‘Abîd est au huitième siècle de l’hégire, et plus précisément en 1310 après JC. Cette date est confirmée par la tradition populaire qui hérite quelques vers chantés par le chîkh ‘Abîd lui-même lorsqu’il s’est installé au Jbal Fowa :

Min gâsi lawtân jîtik nitsâhib

 mal-l-wârith yimlkû wirthâh

fî thâmin likrûn fî tis’a rjab

fi yûm lithnîn bâghi nitwalâh

bidn allâh al-wâhid lma’bûd al-rab

b’athti lîh ‘mârtu min ba’d khlâh

/

De loin je suis venu 

les biens reviennent aux héritiers

Le neuf Rajab du VIIIe siècle

ce lundi, j’ai décidé sur ce lieu de rester

Avec la puissance de Dieu, l’Unique

qui a voulu que j’y reste pour le vénérer

(Bin Mustfâ, 2016, [interview])

Le groupe d’Awlâd Sîdî ‘Abîd, installé de part et d’autre de la frontière algéro-tunisienne, entre Tebessa, Soug hras, Tozeur, Gafsa, El kef et Jendouba compte deux sous-groupes : Awlâd sîdî ‘Abdal-mlak et awlâd sîdî Lahmâdî. Concentré au début dans le duwwâr Gintis situé dans la chaîne des Nemencha à l’est de l’Algérie qui constitue le cœur de ce territoire. À partir duquel les descendants du chîkh ‘Abîd rayonnèrent, étendant toujours plus loin leur influence jusqu’à traverser la frontière et parvenir au Jérid dans la steppe, dans les zones montagneuses (Tameghza, Midès et Chebika), à Gafsa (redayef et Metlauoi) et dans autres régions comme El kef, Jendouba et Wâd majrda… (etc)


Fig 1 : le territoire d’étude d’Awlâd Sîdî ‘Abîd

La tradition musicale d’awlâd sîdî ‘Abîd comme une tradition essentiellement vocale

La tradition musicale d’Awlâd Sîdî ‘Abîd, objet de notre recherche, apparait comme une tradition de chant et se caractérise par l’absence d’un instrument à percussion. La voix et la Gasba, sont souvent les seuls instruments de ce groupe. Al-ghannây Lazhir Mḥammdî, notre informateur, nous a affirmé que dans leur croyance, le wali sîdî ‘Abîd refuse l’accompagnement du Bindîr (index 2). En outre, il a indiqué que contrairement au reste de la frontière tuniso-algérienne du nord-ouest où le Bindîr est autorisé, « nous n’utilisons que la voix et la gasba dans toutes les célébrations religieuses, et les cérémonies profanes destinés aux femmes et aux hommes »(Mḥammdî, 2016, [interview]).

Les formations musicales dans le répertoire d’awlâd sîdî ‘Abîd

Les formations musicales féminines 

  Le répertoire musical, englobe une formation féminine ou masculine et rarement les deux réunies. Ce classement est lui-même subdivisé en plusieurs sous classes en se basant sur le nombre d’interprètes. Cependant, on trouve dans la formation féminine deux types de formation : une première est associée à une femme soliste chantant non accompagnée. Cette soliste chante généralement la forme musical Mlâlya associée au rituel de la mouture du blé, l’occasion de défoulement de ces femmes.

Une deuxième formation rassemble d’un côté une ou deux femmes, les plus âgées, tenant le chant Lead yazr’û et de l’autre, deux autres femmes, accompagnatrices, chantant les voix de backing yhizû al-râs ou bien ylazzmû sur le premier vers ou râs al-malzûma. On trouve souvent cette formation dans les cérémonies de mariage traditionnel, du retour du pèlerinage de la Mecque, dans les fêtes et également dans les grandes occasions (Fâtma, 2017, [interview]). Le nombre ne dépassant pas deux femmes, pour le groupe des solistes et celui des beaking est spécifique à Awlâd Sîdî ‘Abîd. Contrairement aux autres régions tunisiennes où la formation féminine appelée Jurrâd est formée de deux groupes de femmes comportant plus de deux chanteuses. (Trabelsi, 2018, p. 198).

Les formations musicales masculines 

Pour la formation masculine, la Gasba détermine souvent le type de formes interprétées. En effet, on trouve une formation associée à un homme soliste appelé gawwâl, maddâh ou ghanây sans accompagnement. Elle est associée à la forme musicale Ṭarg qui se tient généralement dans la zâwiya (index 3), lieu où les mystiques se retiraient pour méditer et où on enterrait le walî, lors de zarda (index 4). Le gawwâl doit jouir de grandes compétences vocales, et doit maitriser les techniques du chant. Quelque fois, plusieurs solistes peuvent chanter à tour de rôle chacun un ṭarg.

Une deuxième formation est composée d’un chanteur accompagné d’un solo, chant gasba. Celle-là, peut être jouée par le soliste lui-même ou par une personne (gassâb). Cette dernière, était jouée par les bergers pour exprimer le mode de vie nomade. On la trouve dans la forme mlâlya, où le gassâb joue la naghma de la mélodie sous forme de question réponse.

Une troisième formation peut comporter un chanteur soliste avec un chœur d’homme appelé khammâsa l’accompagnant durant tout l’évènement en répétant les refrains ou râs al-malzûma tandis que le ghannây chante les vers ou al-rkâbât pluriel d’al-rkâb à chaque fois. Une quatrième comporte deux pairs d’hommes, où les khamâsa reprennent la phrase énoncée par les solistes. Elle est associée à la forme tawâhî ou al-edda durant la célébration religieuse annuelle du ziyâra de sîdî ‘Abîd, ainsi qu’à la forme marbû’ pendant les fêtes de mariage.

Finalement, le chant en groupe ou chant en chœur chez awlâd sîdî ‘Abîd est associé à la forme al-hara, une manière de chant ou dikr collectif par deux groupes de chanteurs : un premier groupe qui chante la première syllabe â yûllah et un deuxième groupe interprétant la syllabe â hûllah.

Les formes vocales de la tradition musicales d’awlâd sîdî ‘Abîd

La mlâlya est une forme où l’interprète mentionne des indications yâ lââ, el’ lââ lââ, lâh qui confèrent à ce genre l’origine de son appellation. On soulignera qu’elle diffère par la particularité de la prononciation de ses textes, qui ne sont pas suffisamment clairs. (Khaskhûsî et ghânmî,2010, p.26). Cette manière de chant se développe uniquement dans une mélodie caractérisée par de longues et lentes mélopées (Maayouf, 2012, p.33), souvent mornes et mélancoliques. Selon certaines mélodies de mlâlya sont reconnues par leurs régions, leurs tribus, le nom de leur interprète. On trouve mlâlya rakrûkiya, mlâlya sâlhiya, mlâlya abîdiya, mlâlya khirfâniya, etc.

Le tawwâhî désigne une autre forme musicale. Il est chanté à la fois par les femmes et les hommes et est dédié aux cérémonies du mariage ou les célébrations religieuses pour faire l’éloge du prophète. Il est basé sur le principe de l’alternance dans l’exécution et la répétition mélodique des vers ou zorrâât pluriel zorrâa entre deux pairs d’interprètes. Pour les femmes, les deux premières, âgées et connaisseuses des chants, chantent la zorrâa tandis que les deux autres, se contentent de chanter ras al-malzûma. Quant aux hommes, c’est le même principe : la première paire entonne al-rkâb, et les khammâsa chantent râs al-malzûma ou lekhmas. (Ḥwîshî, 2019, [interview]).

Le Marbû ou bien le Murbûest une forme chantée uniquement par les hommes. Il est exécuté lors des mariages. Son texte traite du thème de l’amour et de la séduction. Il se chante par deux duos d’hommes soliste interprétant les vers de la poésie repris par les khammâsa.

Le Matbû / Mitbû, est caractérisé par la méthode spécifique d’exécution. Dans ce cas, on ne parle pas de khammâsa mais d’un chœur qui suit le chanteur soliste en quelques petites parties ou syllabes.

Le mahdûr est une autre forme musicale, dans laquelle il existe une alternance régulière entre deux protagonistes : soit que le chœur chante râs al-malzûma à chaque fois lorsque le ghannây finit al-rkâb, soit que le chœur reprend textuellement la dernière partie de chaque rkâb énoncé par le soliste. Souvent on remarque des interjections sonores pendant l’exécution qui donne un aspect rythmique et dynamique au chant.

Al-hara est exécutée par deux groupes d’hommes appelés al-haâra au saint de la zâwiya pendant la soirée lors de la ziyâra. La musicalité provient donc uniquement des voix de groupes. Chaque groupe chante en alternance deux syllabes âyûllah et hûllah. Les spectateurs sont assis et les al-haâra sont debout formant un cercle ou halqa plus au moins fermé. Ils commencent par prononcer d’une manière répétitive leurs syllabes très lentement. Progressivement, en provoquant des interjections, qui sont utilisées comme des objets sonores musicaux, ils assurent une expression et communication émotive directe jusqu’à la transe de possession. En ce moment-là al-chawich se dirige vers les invités pour donner al-bchârah.

Le ṭarg est la forme musicale la plus emblématique chez awlâd sîdî ‘Abîd. Lazhir Mḥammdî, nous a averti que le ṭarg est le début de toutes les cérémonies, selon lui la nomination ṭarg désigne la frappe à la porte, c’est une demande de permission. Il s’agit d’un genre poético-musical où les textes sont faits pour être chantés. Ces derniers forment, avec la mélodie, une unité consubstantielle. Ce type de chant fait uniquement appel à la force de la voix ornementée différemment d’une version à une autre ce qui donne une marge de liberté́ à l’interprète. (ltifi, 1999, p. 61). L’appellation ṭarg est spécifique à une région ou une communauté [arch], à l’instar de : ṭarg al-sîdṭarg ‘Abîdîṭarg ‘îfî et ṭarg al-sittîn. Souvent, les propos de ces textes reflètent l’envergure des qualités d’el walî, l’éloge du prophète et le traumatisme de la séparation relative d’al-‘arch durant la période coloniale française.

(×) Ce signe indique que la caractéristique de classification ou la méthode de performance doit être respectée.

(×) Ce signe indique la possibilité de bascule vers cette fonction si nécessaire.

Analyse musicale d’un ṭarg ‘îfî

   Afin d’identifier les spécificités du schéma mélodique et les échelles des naghmât dans ce répertoire, nous avons analysé une naghma d’un ṭarg îfî. Nous nous sommes appuyés sur le logiciel Praat pour obtenir les fréquences de chaque degré en Hz, et toutes les dimensions d’intervalles musicales étaient calculés en cent selon la règle suivante :

Dimension de l’intervalle= Log (f1|f2) ×3986.3

   F1= la fréquence correspondant à la fréquence la plus haute    

   F2= le deuxième degré 

C’est un ancien ṭarg ou ṭarg gbûri (index 6), interprété par le ghannây Slimân Rzâygiya, lors de notre visite à lazâwiya desîdî ‘Abîdà jbal Gintîs (Tebessa-Algerie) durant le travail de terrain en 2016. Le rythme de chant se fonde sur une pulsation non perçue et discrète puisqu’il est libre, improvisé sans aucun instrument à percussion. Son cadre temporel est binaire.

En se situant dans la mesure où notre référence est le diapason (440 Hz), et après avoir écouté l’exemple et analysé l’enregistrement, nous avons conclu que la fréquence pondérée du son, qui représente la note tonique, atteignait une valeur de 235 Hz avec une légère différence de 2 Hz par rapport à la fréquence convenue au degré sib. Nous avons donc transcrit le ṭarg sur la note sib

Fig 2 : la fréquence sonore de la tonique du ṭarg ‘îfî

Par ailleurs, les autres fréquences des différents degrés seront consignées dans le tableau ci-dessous : 

Degrés virtuelsSol 1Si bDo Mi bFaSol 2
Disposition des degrés7123456
Fréquence des degrés virtuels (Hz)193.1235263.8287322.5347395

La pièce choisie ṭarg ‘îfî est constituée d’une suite de trois parties A-B-A’. On remarque ainsi une répartition du processus de performance entre des périodes d’utilisation de nombreux motifs mélodiques et broderies, et une période presque limitée à une sorte de récitation poétique : A désigne la partie introductive methnî msayyib, B désigne une récitation poétique par contre A’ indique la dernière partie al-tag’îda pour enfin clôturer l’œuvre.

A- Première partie methnî msayyib :

La première partie du ṭarg se compose de deux motifs musicaux avec un aspect évolutif, puisque le premier est assez court et caractérisé par la domination de la note tonique sib, on a compté 11 fois la note de sib alors qu’une seule fois la note de sol 1 durant toute cette phrase. 

La deuxième phrase représente une évolution au traitement de la naghma. Son profil est sinusoïdal et son aspect est conjoint et disjoint à la fois, elle commence par un mouvement ascendant allant du sib jusqu’au fa passant par la note mib et ré pour revenir à la note du début. Cependant, on remarque la répétition de ce mouvement d’une manière successive pour se reposer à la fin sur la note tonique sib, en utilisant une formule de conclusion pour marquer une manière particulière d’achever la mélodie.

D’après ce tableau, on a trouvé trois intervalles musicaux différents. Pour le premier il y a aussi trois types : en premier lieu, la valeur de l’intervalle (ré-do) atteignait 146 cents avec une différence de 46 cents par rapport à la valeur d’une seconde mineure et 54 cents par rapport à la valeur d’une seconde majeure. Pour le second, L’intervalle (fa-mib) aboutissait à 126 cents avec un décalage de 26 cents par rapport à la valeur d’une seconde mineure. Éventuellement, le dernier intervalle valait une seconde majeure, dont la valeur est 200 cents.

Pour les intervalles disjoints, on a trouvé sept valeurs différentes. Ainsi, les quatre premières valeurs qui correspondent au deuxième intervalle atteignaient successivement : 340 cents pour l’intervalle (sib-sol 1) avec une différence de 40 cents de la valeur de la tierce mineure, 346 cents pour l’intervalle (sib-ré) avec un décalage de 54 cents par rapport à la valeur de la tierce majeure, 328 cents pour l’intervalle (fa-ré) avec une différence de 28 cents par rapport à la valeur de la tierce mineure et 347 cents pour le dernier intervalle (mib-do) avec un décalage de 47 cents par rapport à la valeur de la tierce mineure.

Quant au troisième intervalle avec ses trois types, on a trouvé une valeur de 548 cents pour le premier (mib-sib) avec une différence de 48 cents par rapport à la valeur d’une quarte juste, 474 cents pour la deuxième (fa-do) à 26 cents d’écart par rapport à la quarte juste et 540 cents pour le dernier type (sol 1-do) à 40 cents d’écart par rapport à la valeur d’une quarte augmentée.

B. Deuxième partie (récitation poétique) :

Nous parlons dans la présente partie de structures rythmiques plutôt que de formes mélodiques. Il est à noter que l’on remarque une forte utilisation du (sib) (77 fois) tel que nous pouvons le voir par rapport aux autres degrés (do) et (ré) qui sont rarement utilisés (10 fois). De ce fait, nous constatons aussi la réduction des unités rythmiques qui sont devenues moins longues (phrase composée de Cinq unités) par rapport à la partie précédente (phrase composée de huit unités) ce qui donne une nouvelle dynamique à la mélodie.

Dans cette partie et d’après ce tableau, nous remarquons l’utilisation de deux intervalles musicaux conjoints. Pour le premier, nous avons trouvé deux valeurs différentes : 200 cents pour l’intervalle (sib-do) qui est égale à la valeur de la seconde majeure et 146 cents pour l’intervalle (do-ré) avec une différence de 46 cents par rapport à la valeur de la seconde mineure et 54 cents par rapport à la valeur de la seconde majeure. Cependant, la valeur du dernier intervalle (sib-ré) atteignait 346 cents avec une différence de 54 cents par rapport à la valeur d’une tierce majeure.

(A’) troisième partie tag‘îda :

Pour clôturer avec cette troisième partie, nous remarquons l’utilisation de nombreux motifs mélodiques et broderies avec une large tessiture au niveau de la ligne mélodique. En effet, elle se compose de deux motifs (a1) et (a2).

Le motif (a1) est une phrase musicale assez simple, au registre grave, caractérisé par la redondance accentuée de la note sib, ses mouvements sont conjoints. Il présente le premier genre de la naghma. Alors que le motif (a2) présente une variation au niveau du schéma mélodique. Il se situe en général plus vers le médium que vers le grave. Son profil est sinusoïdal, avec des mouvements disjoints. Nous pouvons constater l’évolution au niveau du traitement de la naghma commençant par la note sib jusqu’à la note sol 2. Il présente par conséquent le deuxième genre dans l’échelle de cette naghma ‘îfî.

D’après le tableau ci-dessus, on a trouvé trois intervalles musicaux différents. Pour le premier il y a Cinq types ; la valeur de l’intervalle (mib-fa) égalait 126 cents avec une différence de 26 cents par rapport à la valeur d’une seconde mineure et 74 cents par rapport à la valeur d’une seconde majeure. Le deuxième intervalle (fa-sol 2) aboutissait à 224 cents avec un décalage de 24 cents par rapport à la valeur d’une seconde mineure, l’intervalle (mib-ré) égalait 202 cents avec une légère différence de 2 cents par rapport à la valeur d’une seconde majeure. Le troisième type (do-ré) atteignait 146 cent à 46 d’écart par rapport à la seconde mineure et à 54 d’écart par rapport à la seconde majeur, alors que la valeur du dernier type (do-sib) égalisa celle de la seconde majeure où était 200 cents.

Les autres Cinq types qui correspondent au deuxième intervalle atteignaient successivement : 347 cents pour l’intervalle (mib-do) avec une différence de 47 cents de la valeur de la tierce mineure, 346 cents pour l’intervalle (sib-ré) avec un décalage de 54 cents par rapport à la valeur de la tierce majeure, 328 cents pour l’intervalle (fa-ré) avec une différence de 28 cents par rapport à la valeur de la tierce mineure et 328 cents pour le dernier intervalle (fa-ré) avec un décalage de 28 cents par rapport à la valeur de la tierce mineure et 72 cents par rapport à la tierce majeure. 

Pour le troisième intervalle disjoint avec ses deux types, on a trouvé une valeur de 548 cents pour le premier (sib-mib) avec une différence de 48 cents par rapport à la valeur d’une quarte juste, 646 cents pour la deuxième (fa-sib) plus de 46 cents d’une quinte diminuée.

  • Les intervalles musicaux en cent
  • Les dimensions proportionnelles de l’échelle de la naghma ‘îfî par rapport à l’échelle à tempérament égal

Nous pouvons constater donc que l’échelle de la naghma ‘îfî est composé de sept notes, (sol 1, sib, do, ré, mib, fa, sol 2), sachant que le degré dans le registre aigu sol 2 ne signifie pas absolument une répétition du degré opposé dans le registre grave sol 1. Notons que les extrémités d’une octave représentent deux degrés indépendants en termes de valeurs, rôles et positions (Gouja, 2016, p.41).

  • structure du ṭarg
  1. Conclusion

Au niveau de ce que nous avons pu observer par les résultats prouvés, nous avons   remarqué que ce répertoire est extrêmement riche et diversifié. Il nous apparait clairement que cette tradition vocale avec ses différentes formes et formations musicales est plus libre, improvisée sans aucun instrument à percussion. En effet, tous les chants sont fondés sur des fragments brefs ou longs répétés de nombreuses fois avec à chaque exposition des paroles différentes. Ce répertoire se fonde généralement sur une pulsation non perçue et discrète, il constitue des formes dont la pulsation est perçue et apparente dans le gsîm, el hadra el ‘iddaoùle rythme dépend de la cadence des syllabes chantées, par contre elle est non repérée et discrète dans le mlâlya, ṭarg et le tawwâhî.  

La forme ṭarg analyée dans cet articlese distingue par une structure spécifique (parlé-chanté) rarement utilisée dans d’autres formes, même pour le ṭarg relatif à d’autres régions tunisiennes. 

Nous constatons aussi que la majorité des interprètes désignent rarement les airs chantés par leurs naghmât respectives, mais plutôt par la forme uniquement. En plus les nagmât se représentent sous forme de cheminements mélodiques avec des intervalles et des degrés spécifiques qui donnent une « couleur modale » locale. 

Pour conclure, ce répertoire fait partie intégrante d’un grand répertoire musical riche couvrant toute l’enveloppe culturelle magrébine. La Gasba représente l’instrument clef de ce répertoire. Aussi, ce répertoire de la Gasba possède-t-il un système musical indépendant, relatif à un univers modal très particulier.

  Références 

  • Gouja, Mohamed, 2016, Al-magharibiya al-mûsikiya [La Maghrébine musicale], Tunisie, Institut supérieur des arts et métiers du Gabes. 
  • Puig, Nicolas, 2003, Bédouines sédentarisé et société citadine à Tozeur (Sud-ouest tunisien), Tunis, Éditions Karthala et IRMC. 
  • Castel, Pierre, 1905, Tébessa histoire et description d’un territoire algérien, Paris, Henry Paulin et Cie, 2ème tome. 
  • Khaskhousi, Ahmed et Ghanmi, Naima, 2010, Aghânî al-nisâa fi barr al-hamâma [Les chansons des femmes dans le territoire hammami], Tunisie, Edition al-Atlasiya.
  • Al-hâmdi, Malek, 2018, Âlat al-gasba bal-janûb al-tûnsî : al-‘umq almaghâribî, dirâsa ûrghânûlûgiya mukârna [La Gasba dans le sud tunisien : la profondeur maghrébine, étude organologique comparé], Thèse de doctorat, Tunis, Institut supérieur de musique de Tunis. 
  • Trabilsi, Firas, 2018, Al-mûsiqâ fal-bilâd al-tûnisiya : qirâa fl-wathiqa al-mûsiqiya [La musique en Tunisie : étude d’un support musicale], Thèse de doctorat, Tunis, Institut supérieur de musique de Tunis.
  • Maayouf, Sayfeddine, 2011, Taqniyât ‘azf âlat al-gasba, dirâsa ûrganûlûjiya tahliliya [Techniques de jeux de la gasba, étude organologique et analytique, Mémoire de Mastère, Tunis, Institut supérieur de musique de Tunis.
  • Gouja, Zouheir, 2007, « Les rythme dans la tradition musicale de l’ile de Djerba », Le dictionnaire critique des identitéś culturelles et des stratégies de développement en Tunisie, Tunis, Le laboratoire de recherches en cultures nouvelle technologies et développement.
  • Ltifi, Mohamed Taher, 1999, « Malâmi al-shi’r al-cha’bî bal-wasat al-gharbî al-tûnisî [Les aspects de la poésie populaire dans le Midwest tunisien] », Al-hayat-ath-thaqafia, n° 104, Tunis, Ministère des affaires Culturelles.

Interviews 

  • Ḥwîshî, Tâhir, 2019, [interview], al-Kef.
  • Mḥammdî, Lazhir, 2016, [interview], Tébessa, Algerie.
  • Bent Sâdak Ben Aḥmid, Fâtma, 2017, [interview], Al-Rmitha-Tameghza-Tozeur.
  • Bin Mustfâ, Mohamed, 2016, [interview], Gintîs-Tebessa.

Index

  • Index 1 : La gasba est une flûte oblique à embouchure libre, elle se caractérise par ses trous de jeu au nombre de neuf correspondant généralement au nombre des anneaux qui la composent. Cet instrument est répandu presque dans toute les régions maghrébines (Aurès, Zibans, les hauts plateaux oranais, la Tunisie et l’extrême nord-est marocain).
  • Index 2 : Le bindîr est un instrument de percussions à membrane en peau de chèvre muni des cordes en boyau fixées le long de cette peau. Il est connu dans tout l’espace magrébin et accompagne les chants des confréries soufies
  • Index 3 : Zawiya signifie un espace mystique ou on trouve la tombe d’ancêtre-fondateur ou al-walî. Là où se déroule les manifestations annuelles et les visites individuelles pour faire le wa’da et demander la baraka.
  • Index 4 : Zarda est un phénomène bien connu en Tunisie, ainsi que dans beaucoup de pays musulmans. En général, les caractéristiques de la zarda sont : périodicité annuelle, visite du lieu d’enterrement du walî, lien avec une communauté (village, quartier, ville), partage de la baraka.
  • Index 5 : Un ancien ou un vieil ṭarg dont son interprète et son compositeur sont inconnus.
Publications

Doctorant en Musique et Musicologie à l’Institut Supérieur de Musique de Tunis

Auteur: Hassen Mchaikhi

Doctorant en Musique et Musicologie à l’Institut Supérieur de Musique de Tunis